On se plaint souvent, avec raison, que les publicités automobiles sont sexistes envers les femmes. Mais, comme on le verra dans les exemples ci-dessous, accessibles sur Youtube, les publicités peuvent être tout aussi sexistes envers les hommes, et de façon pas toujours subtile, parce qu’ils ressassent toujours les mêmes stéréotypes, avec peu d’adaptation. Dans les quatre exemples que je vous présente ici, Ford considère les hommes comme des machos pas futés, Toyota les glorifie comme des pères high-tech cool (pour les rassurer sur leur insécurité sans doute), Audi considère un garçon comme un peu attardé puisqu’il semble avoir besoin de gros indices pour reconnaître le VUS de son père alors qu’une publicité d’un groupe environnemental norvégien considère les pères comme des enfants irresponsables qui doivent être disciplinés par leurs propres enfants.
Avant de commencer, il est important de se rappeler que dans le monde de la publicité, rien n’est laissé au hasard : les moindres détails sont prévus et contribuent à réaliser l’effet escompté sur les consommatrices et consommateurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles les publicités sont si intéressantes à analyser. Comme le plaisir, ça se partage, à la fin de l’article, je vous propose de vous amuser également sur Youtube.
FORD et les gorilles : BUILT TO BE TOUGH!
Il y a beaucoup de choses là-dedans… Tout d’abord, il n’y a aucune femme. Du gorillon et papa gorille au propriétaire de la camionnette Ford, on est clairement entre gars. Et ils sont stéréotypés de façon pas subtile du tout :
□ Le propriétaire de la camionnette, clairement un gars de construction, pisse sur le bord de la route. Peut-on trouver stéréotype plus masculin?
□ Le père gorille est agressif envers son enfant. Quand son gorillon le regarde avec des yeux suppliants, on voit qu’il a une courte hésitation mais il décide de ne pas céder à son sentiment de compassion.
□ Le gorillon aime mieux jouer à cogner le camion partout qu’à aller manger. De toute façon, il n’a pas faim, puisqu’il a laissé tomber les bananes qu’il y avait dans le camion pour jouer avec…
Ensuite, il n’y a pas de nature, donc pas besoin de la protéger, il n’y en a pas. Le propriétaire de la Ford peut donc se déculpabiliser avec sa camionnette polluante et ne pas se préoccuper d’économie de consommation de pétrole. Et le papa gorille n’a donc pas à faire attention à la pollution quand il lance le camion au loin.
Histoire de rigoler… Le gars de la camionnette a beau livrer des bananes, ça a l’air d’un gars de construction, c’est-à-dire la principale clientèle visée par ce type de publicité. Or, un gars de la construction qui ne voit rien alors qu’il se passe quelque chose de gros dans son dos, vous ne trouvez pas que ça fait écho à des événements actuels ici, au Québec, face à une certaine enquête que le PQ réclame en vain depuis des mois au gouvernement Charest?
Pour revenir à nos gorilles, oups à nos moutons, le message de cette publicité de Ford est très clair : nos camions sont « tough », faits pour des vrais hommes! Pas assez clair? À la fin, le message dit: In a man’s world, you must be tough! », c’est-à-dire : « Dans un monde d’hommes, vous devez être faits forts! ». À noter que ce type de publicité pour les camionnettes est commun sur Youtube de la part des trois géants américains (Ford, GM et Chrysler).
Personnellement, je trouve que ce type de publicité est d’un autre siècle et j’aurais été un peu gênée d’insulter les hommes en leur proposant des publicités telles que celles-là. À croire que les gars ont un complexe d’infériorité tellement grand qu’il faut en appeler à leur sens de « gorille à muscles » pour leur vendre une camionnette. Et les convaincre du même coup que de faire attention à l’environnement, c’est pour les autres mais pas pour eux: on leur montre des espaces complètement dénaturés (dans le sens de « sans nature »), de roches, de pierre, de désert : autrement dit, l’environnement, ça n’intéresse pas les vrais gars, c’est pour les moumounes. Un monde d’hommes, c’est le désert, la construction de chantiers de pétrole, de gaz «naturel», etc!
Et bien sûr, ça attire certaines femmes également, qui se sentent tout à fait à l’aise sur les chantiers avec des gros « pick-up »… Selon moi, les manufacturiers ont raté une maudite belle occasion d’élargir leur clientèle. Et dans ce cas-ci, je le prends sans doute personnel parce que j’ai passé mon enfance avec un camion rouge vif super-résistant: mon magnifique Tonka, une compagnie qui s’y connaît bien en véhicules super résistants! J’ai adoré ce camion-là quand j’étais sur un immense chantier de construction (pour l’époque) : mon grand carré de sable en pleine nature, au milieu du gazon trop long derrière la maison.
Il serait grand temps que les manufacturiers réalisent que les camions, c’est pas juste pour les gars… Je parie toutefois que l’annonce aurait été « un peu » différente si elle s’était adressée aux filles aussi. Magnifique opportunité ratée!
En passant, les gorilles, ça ne vit pas dans le désert.
TOYOTA et les bons pères de famille gadget
Différent, non? À l’opposé du macho, il y a le stéréotype des « bons pères ». Imaginez : des chums qui partent ensemble avec les enfants pour aller observer les étoiles dans le désert…
Beaucoup plus subtile, cette publicité, mais toujours aussi stéréotypée : le rôle du père est tout à fait réaliste – au Québec, 3 des nouveaux pères sur 4 prennent un congé lors de la naissance de leur(s) enfant(s) – mais, sauf la jeune fille qui est clairement l’une des enfants, il n’y toujours pas de femme, mère ou conjointe, comme dans l’annonce précédente. On peut penser que les gars sont des pères séparés ou qu’ils ont donné un « break » aux mères pour qu’elles sortent ensemble.
Il y toutefois trois énormes clichés visant à valoriser les hommes :
□ Il n’y a toujours pas de nature à part quelques cactus et le territoire est devenu l’espace et les étoiles. C’est l’image de l’espace infini inhabité à conquérir.
□ Ils ont des téléscopes, c’est-à-dire la haute technologie, un domaine « typique » des gars. Remarquez que la jeune fille ne regarde pas dans les téléscopes mais uniquement le cherche-étoiles. Cette représentation est conforme à ce qu’ont démontré de nombreuses recherches sur les médias : les filles et les femmes sont généralement représentées comme passives et spectactrices alors que les gars/hommes sont représentés comme actifs.
□ Il y a un patriarche. Ce détail est très intéressant. Il n’a pas la tête typique d’un grand-père, d’où mon appellation de patriarche. Il sort d’où, lui? Est-ce un roi mage, pour rappeler la fraternité intemporelle de ceux qui étudient les étoiles? L’espace infini de découverte serait-il spatio-temporel? Pourquoi ont-ils inclus cette image?
La musique, quant à elle, est très bien choisie, pour aller avec le
s rires des enfants, dans un milieu où le désert devient un terrain de jeux sécuritaire et agréable.
s rires des enfants, dans un milieu où le désert devient un terrain de jeux sécuritaire et agréable.
Enfin, une autre question : quand vous partez en camping avec des enfants, c’est quoi la première chose à laquelle vous pensez? Qu’ils vont avoir faim… Mais ne cherchez pas, à part le « cooler » qui contient probablement de la bière, le stéréotype « mâle » par excellence, il ne semblent pas avoir pensé à ça… Hmmm…
En passant, je suis convaincue que cette publicité s’adresse d’abord aux femmes, qui s’impliquent dans 85 % des achats de véhicules, dont les VUS familiaux, bien sûr.
AUDI, le père branché et les mères toutes pareilles
Audi nous offre une publicité représentant une activité banale de la vie quotidienne des parents banlieusards, celle d’aller chercher son enfant à l’école. Tout aussi stéréotypée que les autres, cette publicité est insultante pour les filles et les femmes mais aussi pour les garçons et les hommes, quand on y réfléchit un peu. Au début de l’annonce, il y a ces fillettes (les garçons sont alors sous-représentés à la caméra) qui ne semblent pas capables de reconnaître leurs mères et qui sont déroutées parce que tous les VUS sont semblables (regardez attentivement, ce sont toutes les mêmes mères dans les VUS beiges).
Et tout d’un coup, on voit un jeune garçon se faufiler à travers la foule et courir vers son père qui arrive dans un VUS noir, qu’il reconnaît facilement (comme il est perspicace!), ce qui lui donne une longueur d’avance pour aller retrouver son père. Le père et le fils sont visiblement contents (soulagés ?) de s’être retrouvés. Il est à noter que le père arrive juste à temps et n’a même pas besoin d’arrêter son véhicule comme les mères. Quel sens du timing! C’est vrai que lui, il doit être occupé à autre chose alors que les mères n’ont que ça à faire, d’attendre leurs enfants après l’école?
La première chose que l’on constate, ce sont les fillettes confuses, incapables de reconnaître le véhicule familial et leurs mères. Pas étonnant, puisque ces mères sont représentées comme étant la même dans le même VUS sans éclat, toutes ennuyantes parce que pareilles. Pas très flatteur, non?
De fait, je trouve que cette publicité est insultante aussi pour les gars et les hommes. Encore une fois, on glorifie les hommes/gars qui sont originaux, puisque différents et qui sont ainsi capables de prendre une longueur d’avance. Ah oui? On peut aussi interpréter cette annonce dans l’autre sens : le garçon est tellement idiot que ça lui prend une voiture familiale totalement différente des autres pour la reconnaître, et que c’est le fait de réussir à la reconnaître qui fait la fierté de son père…!
Le titre de la publicité? « Le vol d’identité affecte tout le monde. » Il serait sans doute plus juste d’écrire: « Les stéréotypes affectent tout le monde. »
En passant, je vous rassure : les gars sont tout aussi capables que les filles de reconnaître leurs parents …
Les pères norvégiens et leurs enfants « éco-agents »
Mon dernier exemple ne provient pas d’un manufacturier automobile mais d’un groupe environnemental norvégien qui veut inciter les parents à transformer leurs enfants en éco-agents, afin de sensibiliser les adultes aux questions environnementales. Il y a plusieurs publicités avec toujours la même conclusion de la part des enfants : « Je ne suis pas fachéE, je suis vraiment, vraiment déçuE. » La publicité est en norvégien sous-titré en anglais; je vous ai joint la traduction en français à la fin de cet article. Celle-ci m’a intéressée particulièrement parce qu’elle questionne le comportement stéréotypé des hommes face à leurs autos.
L’action se passe en banlieue, donc il y a de la nature, comme dans la publicité précédente. Le rôle père-enfant est inversé. Il n’y toujours pas de femme/mère: ce sont des pères immatures qui doivent être remis à leur place par leurs garçons (tant celui-ci que son ami Sébastien) parce qu’ils ne respectent pas l’entente conclue ensemble sur leurs comportements face à l’environnement. Non seulement ils se sentent tous coupables mais le garçon surprend même l’un des pères à mentir alors que son propre père revient à la maison avec son vélo, aux côtés de son fils, aussi en vélo.
On se rappellera que McDonald avait fait des annonces où les enfants prennent le rôle des parents (sous-entendu : les enfants connaissent mieux le McDo que les adultes) mais cette publicité norvégienne est difficile à battre, pour ce qui est de prendre les hommes pour des débiles.
En passant, j’ai beau être environnementaliste, je ne voudrais pas d’une telle attitude intolérante de la part de mon enfant ;-)
En conclusion, il faut comprendre que les concepteurs publicitaires sont encore très majoritairement des hommes; de plus, le monde des automobiles tarde à intégrer les femmes dans des postes où elles pourraient avoir le même impact que les hommes. Tel que mentionné par des gens comme Faith Popcorn, Martha Barletti, Johane Thomas Yaccato ou le gourou du marketing Tom Peters, le monde a changé et le modèle masculin One fits all est de plus en plus dépassé : il y a donc un énorme potentiel inexploré pour faire des publicités automobile qui s’écarteraient des stéréotypes. C’est d’autant plus intéressant qu’avec l’intérêt pour certains manufacturiers de développer des véhicules plus éco-énergétiques, il serait stratégique de s’éloigner du stéréotype de la femme victime (qui veut être sécurisée) et l’homme macho (qui se fout de l’environnement).
C’est un monde quasi-inexploré. Pour vous donner un simple exemple, je vous mets au défi de trouver des publicités de manufacturiers automobiles sur Youtube où il n’y a que des femmes, sans aucune référence à la sexualité, au couple ou aux enfants. Et sincèrement, j’aimerais bien que vous en trouviez parce que pour moi, c’est sans succès. Alors, si vous en trouvez, faites-les moi parvenir; je me ferai un plaisir de les mettre sur le blog et de les analyser. Par contre, il existe des publicités qui s’adressent autant aux femmes qu’aux hommes, et dont je reparlerai dans un autre article.
En attendant, je vous invite à analyser deux autres annonces tout à fait différentes l’une de l’autre:
J’ai bien hâte de lire vos commentaires!
Traduction de la publicité norvégienne (sous-titres)
Un des pères: “Wow, écoute cette affaire-là, c’est étonnant!”L’enfant: “Éteins le moteur!”L’enfant: “J’ai dit: Éteins le moteur!”L’enfant: Je pensais
qu’on avait une entente à propos de ça!L’enfant: C’est pas cool, si c’est ce vous pensez!L’enfant: Est-ce que ton fils est au courant, Jan? Jan, l’un des pères: Euh, ben… oui!L’enfant: Je pense que je vais appeler Sébastien, dans ce cas-là!Jan: “Non, non, ok, je vais le retourner tout de suite” (sous-entendu, le VUS).Les éco-agents ont l’autorisation de parler ainsi parce qu’ils sont responsables de leur futur. Vous pouvez inscrire votre enfant chez miljoagentene.no L’enfant: “Je ne suis pas fâché; je suis simplement vraiment, vraiment déçu.”
qu’on avait une entente à propos de ça!L’enfant: C’est pas cool, si c’est ce vous pensez!L’enfant: Est-ce que ton fils est au courant, Jan? Jan, l’un des pères: Euh, ben… oui!L’enfant: Je pense que je vais appeler Sébastien, dans ce cas-là!Jan: “Non, non, ok, je vais le retourner tout de suite” (sous-entendu, le VUS).Les éco-agents ont l’autorisation de parler ainsi parce qu’ils sont responsables de leur futur. Vous pouvez inscrire votre enfant chez miljoagentene.no L’enfant: “Je ne suis pas fâché; je suis simplement vraiment, vraiment déçu.”